Extrait d’un guide pratique pour le développement professionnel de Christine Cuerrier (Canada)
Plus récemment, les recherches en psychologie se sont penchées sur les caractéristiques spécifiques du développement psychologique féminin et ont permis d’isoler un élément majeur de cette spécificité, la dimension relationnelle. Plus récemment encore, des chercheures du CRIEVAT de l’université Laval (Centre de recherche interuniversitaire sur l’éducation et la vie au travail, à ce moment nommé CERDEC), insatisfaites du cadre général qu’offraient les théories du développement vocationnel habituelles, se sont
intéressées aux caractéristiques spécifiques du développement de carrière des femmes dans le but d’offrir un cadre théorique et un modèle d’intervention qui tiennent compte de la réalité des femmes et des différences de comportement observées chez elles dans leur vie professionnelle.
Quelles sont ces différences ?
La spécificité relationnelle des femmes
La dimension relationnelle ressort dans de nombreuses recherches comme variable pertinente pour mieux comprendre le cheminement féminin ; la construction de leur identité et sa différenciation se structurent autour de la capacité d’établir et de maintenir des liens avec les autres. Dans les différentes sphères de leur vie, les femmes se soucient d’être en lien, en relation. Leur développement s’effectue à travers les liens qu’elles entretiennent avec les personnes significatives de leur vie ; l’interdépendance oriente le choix de leur comportement, de leur attitude et de leurs priorités plus que l’indépendance. Leur mode d’apprentissage se révèle donc efficace dans un contexte qui passe par la compréhension du point de vue des autres ; elles déterminent leur schème de référence moral en tenant compte de l’élément
altruiste. La prépondérance de la dimension relationnelle teinte du même coup leur perception de leur projet d’avenir et influence leur choix professionnel. Ainsi, lorsqu’elles définissent leur projet professionnel, elles tiennent compte des milieux humains dans lesquels elles évolueront et des gens significatifs qui les entourent.
Une vision globale de leur projet de vie
La deuxième caractéristique différentielle mise en évidence par les diverses recherches concerne la vision intégrée qu’ont les femmes de leur projet de vie. Les différents rôles qu’elles assument et les différents projets qu’elles choisissent sont interreliés plutôt que superposés et les décisions par rapport à l’un se prennent en tenant compte des autres. Ainsi, les amours, la vie sociale, la carrière, la maternité, les loisirs s’intègrent dans un tout voulu harmonieuxet indissociable qui influence globalement la vision qu’elles ont de leur avenir et de leur vie.
La nature sinueuse de leur cheminement de carrière
La troisième caractéristique est un corollaire des deux caractéristiques précédentes. En effet, si les relations humaines significatives et l’équilibre de leur projet de vie sont des facteurs qui dictent les choix que posent les femmes,elles optent naturellement d’investir tour à tour dans les différentes sphères de leur vie, selon une séquence qu’elles déterminent en fonction de leurs besoins, relationnels et autres. Leur cheminement de carrière risque donc d’être imprévisible et sinueux, car leur objectif premier n’est pas de « faire carrière »de façon linéaire et continue, mais bien d’assurer un équilibre entre lesdiverses activités et les divers rôles de leur projet de vie. Elles trouvent donc intéressant et plus conforme à leur vision des choses de se consacrer souventen alternance aux études, au travail, à la famille, etc., selon les priorités qu’elles se donnent aux différentes étapes de leur projet de vie.
Un recadrage qui s’impose
Ainsi donc, en reconnaissant le caractère distinct du développement féminin, nous devons considérer les éléments relationnel, globalisant et imprévisible comme des particularités de leur cheminement professionnel. Cette nouvelle conception du développement vocationnel des femmes nous amène à une nouvelle compréhension du comportement humain. Spain et Hamel (1996) souligne le côté paradoxal de cette nouvelle vision du développement : La compréhension du monde et de la vie à laquelle elles
[ces chercheures] nous convient révolutionne nos valeurs et le sens même qu’on donne aux mots qui décrivent l’expérience et le vécu humains. Par exemple, la dépendance, qui qualifie souvent le comportement féminin, prend un nouveau sens lorsqu’on constate que les liens sont nécessaires au développement ; la notion de pouvoir, fréquemment comprise comme un contrôle exercé sur les autres, s’enrichit d’une nouvelle définition, pour décrire non pas le contrôle, mais plutôt la participation au développement d’autrui, tout en favorisant sa propre évolution ; dans la même foulée, la « peur du pouvoir » est recadrée comme un refus à se développer au détriment des autres et comme un désir de progression mutuelle ; la maturité n’est pas synonyme d’autonomie et d’indépendance et rejoint l’idée d’une identité définie et différenciée dans l’interdépendance ; l’autonomie ne signifie plus d’être coupé des autres, mais d’exister en soi,dans les liens aux autres, etc