J’espère que mon titre aura aiguillonné votre curiosité !
Je vous imagine déjà en train de vous demander si je suis influencée par les jeux olympiques ou si j’ai dégoté une étude obscure liant curling, tendinite des coudes et parentalité…
Et bien non ! Je veux parler de ce que les américains appellent « les parents curling ».
Si vous ne connaissez pas ce sport, imaginez-vous sur une patinoire en train de brosser frénétiquement la glace pour faciliter la progression d’une « pierre » de quasiment 20 kg. L’objectif est de s’approcher le plus possible d’une cible. Bref, si vous voulez en savoir plus sur le curling, allez voir votre encyclopédie préférée. Même une vieille encyclopédie fera l’affaire car le curling est sport olympique depuis 1924.
Alors pourquoi cette notion de « parents curling » ?
Et bien cela sert à décrire des parents qui tentent par tous les moyens d’aplanir la moindre difficulté que pourraient rencontrer leurs enfants.
Avec passion et véhémence, ils anticipent, protègent, négocient, argumentent, exigent, cajolent l’environnement pour que leurs enfants ne subissent aucune contrariété.
Il est facile de se moquer de ces parents, de les tourner en ridicule.
Mais on peut aussi, tous autant qu’on est, se reconnaitre dans ces parents qui tentent de faire que la vie de leur enfant soit la meilleure possible.
Après tout, c’est pour la bonne cause que le parent accepte d’arranger un mot dans le cahier, pour une absence, un travail non fait…
C’est pour une bonne cause que l’on accompagne son enfant jusque devant l’employeur lorsqu’il cherche un stage…
C’est pour la bonne cause qu’on lui achète un smartphone comme les autres…
C’est pour la bonne cause qu’on ne le laisse pas marcher jusqu’à l’arrêt de bus…
C’est pour la bonne cause qu’on lui donne de l’argent alors qu’il a dépensé le sien…
C’est pour la bonne cause qu’on exige que l’école ait des maillots de bain en plus au cas où un enfant oublierait le sien….
Oui, c’est pour la bonne cause.
Ou pas ?
Evidemment, comme toujours, tout est dans la mesure.
Mais cette volonté d’aplanir toute difficulté pour que l’enfant n’ait que des bons moments et ne souffre jamais d’inconfort a quand même des effets pervers :
- L’enfant n’apprend pas les conséquences de ses actes et donc il n’apprend pas des compétences importantes. Comment apprendre à ne pas oublier ses affaires si quelqu’un le fait tout le temps pour vous ? Comment comprendre qu’il faut manger à table si vous n’expérimentez pas la faim ? comment comprendre qu’il faut arreter d’embêter les autres si on ne fait pas l’expérience de se faire mordre ou taper quand on a dépassé les bornes ?
- L’enfant n’apprend pas qu’il n’est pas le centre du monde. Il continue à penser qu’il n’a pas besoin de se préoccuper des autres. Je vous jure que vous n’avez pas envie de travailler avec lui quand il sera adulte
- L’enfant ne développe pas de stratégie pour surmonter les difficultés et il devient exagérément fragile.
Alors je sais que les parents curling, c’est toujours les autres (non, c’est sûr, je n’ai jamais fait ça, moi. Jamais je ne suis intervenue alors que j’aurais dû laisser mes enfants vivre les conséquences de leurs actes).
Mais si vous vous posez vaguement la question, face à certaines situations, posez-vous les 4 questions suivantes, développées par Jean Illsley Clarke, Connie Dawson et David Bredehoft dans leur livre « How Much Is Enough », malheureusement pas traduit en français/
- Cette situation empêche-t-elle mon enfant d’apprendre des tâches nécessaires à son développement ? comme se faire à manger, gérer son argent, arrêter d’embêter les plus grands, s’endormir seul, faire face à des situations sociales inconfortables, prendre le temps d’écouter des informations avant de faire face à une situation particulière….
- Cette situation donne-t-elle un montant disproportionné des ressources (temps, argent…) familiales à l’un des enfants de la famille ? trop d’argent pour le rachat de matériel détruit qu’il faut racheter, trop d’argent pour acheter des choses aux enfants plutôt qu’aux parents, trop de temps consacré aux activités des enfants au détriment de celles des parents….
- Cette situation est-elle au bénéfice du parent plutôt que celle de l’enfant ? ah, oui, car le problème, c’est que c’est satisfaisant pour le parent de montrer qu’il est un bon parent et que tout roule pour son enfant. Donc exit les conflits et les prises de tête ! Je suis un parent attentif et je te rachète tout ton matériel. Tu ne peux quand même pas être puni parce que tu n’as plus ton stylo 4 couleurs….Regardez, je suis un bon parent, mon enfant fait du sport, de la musique et je l’emmène au musée, au ciné….
- Le comportement de l’enfant porte-il potentiellement préjudice aux autres, à la société ou la planète ? ah oui, parce que si le parent est légitime à prendre en considération les besoins de son enfant, les besoins du reste du monde sont aussi à prendre en considération et surtout, il ne faut pas confondre besoin et désir. Non, mon enfant n’a pas besoin de faire du patin sur le parquet avec les CD de son oncle sous les pieds. Oui, il a besoin de bouger. Non, mon enfant n’a pas besoin de jouer à jeter des raisins par terre parce que j’ai garé le caddy trop près du rayon fruit. Non il ne peut pas comprendre le danger s’il a deux ans mais moi, l’adulte oui. Et oui la dame qui fait une remarque a raison. Ce n’est pas agréable de se casser le col du fémur en glissant sur un raisin au supermarché. Non, il n’y a pas de besoin particulier des ados à rester 45 mn sous la douche. Ce n’est bon ni pour la planète, ni pour mon portefeuille !
Voilà, maintenant, il n’y a plus qu’à !
Plus qu’à réfléchir avant de se précipiter au secours de son enfant pour que sa vie ne soit qu’une succession de plaisirs et de bon temps.
La frustration, les inconforts ne sont pas les scories d’un passé d’avant les années 70 auxquels nos enfants devraient échapper pour se développer sans névrose. Ils sont, au contraire, des expériences inévitables de l’apprentissage de la vie collective, de la socialisation et du développement pour devenir un adulte aimable et responsable.