Ah, la fessée… Je vais peut-être être iconoclaste mais c’est un peu comme les régimes l’été, ou les cadeaux de Noël, ce thème revient régulièrement dans les médias. L’émotionnel reprend le dessus et les anathèmes volent bas.
Je pense que le sujet est important et mérite mieux que ces débats stériles.
Alors prenons les affirmations telles que « des études scientifiques prouvent que la fessée met l’enfant dans un état de colère qui le rend opaque aux apprentissages ». Parfait, mais où sont les références de ces études? Et surtout, depuis quand donne-t-on des fessées lors d’apprentissage ? Ah tu n’arrives pas à marcher !? paf, une baffe ! Tu n’arrives pas à faire ton addition ? Une taloche ! Personnellement, je connais assez peu de parents qui mettent des fessées pour ces raisons.
Ah, un autre article dans le magazine Sciences Humaines nous affirme que la fessée rend les enfants agressifs. C’est visiblement un site assez sérieux parce qu’il donne une référence pour aller consulter l’étude : Keith Brannon, « Tulane researchers find spanking can make children more agressive later », 12 avril 2010, sur http://tulane.edu/news/releases/pr_03122010.cfm ; d’après Catherine A. Taylor et al., « Mothers’spanking of 3-year-old children and subsequent risk of children’s aggressive behavior », Pediatrics, 2010.
Formidable….jusqu’à ce qu’on lise, non pas le titre, mais l’article. Et surtout, jusqu’à ce qu’on lise l’étude de l’université de Tulane et non pas le compte rendu qui en est fait sur le site de l’université de Tulane.
L’étude a été faite sur des mères et des pères et on leur demandait s’ils avaient donné des fessées à leur enfant de 3 ans et deux ans plus tard, on faisait un suivi pour savoir là encore s’ils avaient donné des fessées le mois précédent. Bon, pourquoi pas…
Ce qui est intéressant, c’est la façon de mesurer l’agressivité des enfants : on demandait aux parents comment les enfants se comportaient ! D’où, quand même un gros biais avec cette étude : on imagine bien que les parents pourraient avoir tendance à surestimer les comportements agressifs de leurs enfants pour justifier les fessées !
D’ailleurs, en toute honnêteté, l’étude le mentionne : néanmoins, il reste une limite à cette étude. Nous nous reposons sur les dires des mères en ce qui concerne les comportements exprimant l’agressivité, ce qui ne nous permet pas d’éliminer la possibilité que les perceptions négatives de l’enfant peuvent avoir influencé à la fois la décision de mettre une fessée et les scores d’agressivité donnés par la mère (ma traduction).
“One remaining limitation in the current study, however, is that we rely on maternal report of child externalizing behavior, which does not allow us to rule out the possibility that negative perceptions of the child have the potential to influence both the decision to spank and maternal ratings of child externalizing behavior. “
Il faut noter aussi que l’étude n’est pas faite sur n’importe quelle famille: il s’agit de familles recensées dans le « fragile families » study. Même si vous ne comprenez pas l’anglais très bien, je pense que vous aurez compris qu’il s’agit de familles en situation difficile.
Est-ce à dire que je suis favorable à la fessée, puisque je semble vouloir retoquer toutes les études présentées ?
Non, je ne suis pas favorable à la fessée ou aux châtiments corporels. Mais c’est une position personnelle et j’ai toujours eu le sentiment qu’il faut faire la différence entre une fessée de temps en temps (c’est-à-dire moins d’une fois par mois) et de la maltraitance. Je ne peux pas dire qu’un père qui donne une fessée à son fils cul nu soit forcément une bonne chose. De là à en faire de la maltraitance… et à médiatiser l’incident …. Un rappel à la loi n’aurait-il pas été suffisant ? Et professionnellement, je ne peux pas non plus me permettre de donner des conseils uniquement à partir de mes valeurs. L’avantage de la science, c’est quand même qu’elle nous apprend des choses et en tant que professionnel, on doit évoluer avec la science.
Alors, je vous sens impatients… Que dit la science ? Que disent les études sérieuses ? J’ai trouvé un numéro spécial de la revue Pediatrics sur le sujet, il y a quelques années. Voilà le lien pour aller lire l’étude (malheureusement payant et en anglais. Mais si quelqu’un veut, je peux scanner les articles et vous les envoyer) http://pediatrics.aappublications.org/content/98/4/828.full.pdf+html
Conclusion des divers articles sur le sujet : l’interdiction stricte de la fessée n’est pas justifiée à partir des études disponibles !
Pourquoi ? Parce que les études montrent qu’il n’y a pas de liens entre la fessée, l’agressivité des enfants, la violence à l’âge adulte ou l’évolution de la fessée vers de la maltraitance.
Conclusion sur la fessée : les châtiments corporels ont plus de chance d’être efficaces pour éliminer les comportements inacceptables quand ils sont administrés sans culpabilité, dans des circonstances contrôlées et de façon mesurée. Il faut aussi que les parents et l’enfant soient tout à fait conscients de la raison pour laquelle le châtiment est administré, qu’il soit administré en privé, en raison d’un comportement volontairement défiant (non respect volontaire des règles connues). Évidemment, les châtiments corporels ne sont pas admissibles pour des enfants de moins de 18 mois et après la puberté.
Ce sont les démonstrations violentes de pouvoir (donc les abus de pouvoir) ou le pouvoir utilisé pour faire changer les pensées des enfants qui provoquent l’agressivité des enfants. (La punition sert à changer un comportement, pas les pensées).
Pour l’instant, au lieu de légiférer sur la fessée, on devrait plutôt utiliser les lois existantes sur la maltraitance et permettre aux parents d’apprendre d’autres moyens pour mettre des limites. Car, en déplaise aux bonnes âmes, la punition fait partie des outils éducatifs et non, le dialogue ne suffit pas toujours à stopper des comportements inacceptables ! Et non, je ne pense pas qu’il soit forcément utile de s’excuser après avoir perdu patience. Après tout, il est bon que les enfants, à partir d’un certain âge, apprennent la prudence : on ne défie pas impunément les plus grands et les plus forts.
Un point de vigilance : si vous vous rendez compte que vous punissez souvent votre enfant parce qu’il vous fait sortir de vos gonds, il est sans doute temps de changer de stratégie et peut-être d’aller vous faire aider dans cette mauvaise passe et sortir de ce cercle infernal où vous n’arrivez plus à trouver la moindre chose positive chez votre enfant. Certains enfants sont beaucoup plus difficiles à parenter que d’autres et les parents n’ont pas forcément un style de parentage adapté à leur enfant.
Des questions, des remarques ? A vos claviers !