Voici ma contribution au numéro du magazine LonTop d’octobre 2010.
L’estime de soi est une notion relativement récente. Datant de la fin du dix-neuvième siècle et très étudiée dans les années soixante-dix, elle a pris une grande place en éducation et des parents viennent souvent me consulter en expliquant que leur enfant ne réussit pas parce qu’il n’a pas une bonne estime de lui.
S’il y a des corrélations entre une bonne estime de soi, la réussite professionnelle, la capacité à avoir une vie riche et stable, qui dit corrélation ne dis pas forcément lien de cause à effet et il est intéressant de remarquer une grande différence entre générations.
Définition de l’estime de soi
En consultation avec des parents, j’explique que l’estime de soi se compose de trois piliers :
· l’amour que l’on a de soi : c’est-à-dire le sentiment que l’on a d’être quelqu’un de suffisamment bien.
· La confiance en soi qui est lié à ce que l’on accomplit réellement
· La vision que l’on a de soi dans l’avenir
Ces trois piliers se construisent à partir du regard des autres, notamment celui des parents et de son propre regard.
L’estime de soi : méritée ou due ?
En éducation, les baby-boomers sont les premiers à ne pas éduquer leurs enfants à l’obéissance mais plutôt à la réalisation personnelle et c’est un changement fondamental.
Les enfants sont devenus la prunelle des yeux de leurs parents qui ont choisi de les mettre au monde, de les protéger, et de leur offrir le meilleur. C’est à cette époque que commencent vraiment les études sur la psychologie des enfants. On commence à se préoccuper de leur bien être psychologique
L’estime de soi étant une façon de mesurer la capacité à la réalisation personnelle, on commence à voir fleurir nombre d’études sur l’estime de soi, l’adaptation scolaire, la violence….
Avec les années, un glissement très net se produit.
De méritée, selon les premiers chercheurs, l’estime de soi devient un pré-requis, un dû à une bonne vie. Aux parents de tout faire pour que leurs enfants aient une bonne estime de soi : choisis, choyés, on leur inculque l’idée qu’ils sont dignes d’amour et d’attention.
Effet pervers :
Oui, les enfants ont le droit d’être aimés et choyés. C’est une composante fondamentale de leur équilibre. Mais une bonne estime de soi n’est pas uniquement basée sur l’amour de soi. Et je vois arriver beaucoup d’adolescents, de jeunes adultes ou de parents désemparés par des enfants qui ont été aimés et choyés mais qui manquent cruellement de confiance en eux ! Ou de confiance en leur avenir.
Effet pervers de vouloir trop bien faire, beaucoup de jeunes et d’enfants peuvent montrer un sens aigu de « tout m’est dû » en même temps que « je suis nul ! », « je n’arrive à rien ».
On a oublié « le faire »
Face aux exigences de notre quotidien, on a oublié une chose très importante : apprendre à nos enfants à faire des choses et à exiger qu’ils les fassent (selon l’âge et la maturité, bien sûr) car c’est en faisant que l’on prend confiance en ses capacités et notamment en ses capacités d’apprendre après avoir échoué. Et mon expérience auprès de famille est qu’il suffit d’apprendre aux enfants à faire la cuisine, le ménage, la lessive…pour que ceux-ci reprennent confiance en eux.
Voilà ce qu’ont retenu deux mères de famille après un de mes ateliers :
· Complimenter et faire faire en guidant
· L’estime de soi passe par les actes. Plus on fait de choses, plus on sait qu’on est capable d’en faire d’autres.
Comment un jeune peut-il développer un sentiment de compétence s’il ne sait pas subvenir à ses besoins de base comme se faire à manger ?
Les enfants ont besoin de savoir qu’ils sont des membres contributeurs de la famille. C’est une façon pour eux d’avoir une estime de soi basée sur le faire qui ne s’écroulera pas au premier défi.
La génération des baby-boomers n’a pas été autant choyé que la génération X ou Y mais elle a eu la chance d’accéder jeune à l’indépendance, notamment grâce au travail.
Et la vision de soi dans l’avenir ?
Imaginez la scène suivante :
Un bébé, qui apprend à marcher, tombe.
Sa mère se précipite en disant « mon dieu, tu as dû te faire mal. Tu es tombé. C’est terrible. Tu ne vas pas y arriver ! ».
Cela semble incroyablement contre-productif. Pourtant, mettez « passe son bac » à la place de « apprend à marcher » et vous aurez une idée de ce que l’on envoie comme signaux négatifs à la jeune génération.
La plupart des parents que je rencontre sont terriblement angoissés par l’avenir de leurs enfants. Ils n’ont en tête que chômage, retraite, déclassement social etc… On peut les comprendre car le fossé est grand entre les aspirations et les espoirs des baby-boomers (promesse d’une vie en sécurité) et la réalité d’aujourd’hui (insécurité contrebalancée par une liberté personnelle).
Néanmoins, les stratégies parentales d’éducation pour mettre de la sécurité dans la vie de leurs enfants peuvent avoir un effet infantilisant et déprimant qui n’est pas fait pour renforcer l’estime de soi. Au contraire. Les parents mettent de la pression sur les enfants pour qu’ils réussissent à coup de « malédiction » : « si tu n’y arrives pas, tu es foutu ! ».
Il est temps que la génération Y et surtout la Z aient le droit d’avoir un regard confiant posé sur leurs capacités et notamment leur capacité à se relever après un échec. Comme m’a dit une mère de famille : « l’estime de soi, c’est faire un acte de foi. Croire que mon enfant est capable »
Conclusion :
Il est difficile de dire exactement parmi les générations laquelle a le plus d’estime de soi. Les baby-boomers ont sans doute été moins choyés mais ils ont pu développer une estime de soi assez solide sur la base de ce qu’ils ont accompli.
Les générations suivantes sont plus choyées et on s’intéresse beaucoup plus à leur bien-être mais ils ont moins l’occasion d’accomplir des choses et de prendre des responsabilités, ce qui peut les rendre arrogants et incompétents dans la vie quotidienne. En éducation, en tout cas, l’estime de soi n’est plus l’objectif à atteindre. Le nouveau concept porteur est la discipline de soi, c’est-à-dire la capacité à se contrôler et réussir avec constance dans un monde qui est en perpétuel changement.
Merci à Emmanuelle Gagliardi, rédactrice en chef de LonTop.