Les enfants et les écrans

J’ai eu beaucoup de retours (positifs! je précise) sur l’article que j’avais écrit à propos de l’influence de l’usage des réseaux sociaux sur la conception que les jeunes peuvent avoir de ce qu’est un ami (là, je crois que j’ai fait une phrase un peu indigeste). J’ai eu aussi un certain nombre de témoignages de parents à propos de l’usage des téléphones portables et des sms, outils de harcèlement ou d’emprise, jusque dans la chambre. Il est clair que, même sans devenir paranoïaque, il vaut mieux discuter avec ses enfants des risques de s’exposer quand on n’est jamais sûr qui est au bout du fil.
Quelques semaines plus tard, alors que je faisais une formation, j’ai été interpellée par une professionnelle de crèche qui interrogeait sur l’usage des tablettes tactiles pour les enfants de moins de 3 ans et surtout sur ce qu’en disait la télé (d’après les parents): “ça les rend plus intelligents”.
Je dois avouer que j’avais complètement raté la sortie de l’avis de l’académie des sciences sur l’usage des écrans. Mais, en revanche, la publicité d’une marque très connue de tablettes m’est revenue en tête. Je suis sure que vous l’avez vue. On y voit des enfants “faire de la peinture” sur une tablette. C’est joli, coloré, lisse et sans tâche!
Quelle misère. Si je comprends que ça peut être distrayant, c’est quand même assez limité comme expérience de la peinture: où est l’odeur de la gouache? le plaisir de faire des tâches d’eau qu’on mélange? Les mélanges ratés qui deviennent caca marron? Les couleurs qui se mélangent par hasard joliment? et le pinceau ou le doigt? Bref, là encore, on propose du virtuel avant d’avoir fait l’expérience du réel et de ses évènements inattendus.
Comme je ne fais pas toujours (et c’est peu dire) confiance aux médias pour rapporter en 1mn50 le contenu d’un rapport de 200 pages, je suis allée acheter ce fameux rapport.
Il est intéressant, écrit simplement et compréhensible par le commun des mortels. Et je vous livre quelques infos qui m’ont semblées intéressantes:

  • Il faut distinguer l’usage des écrans passifs devant lesquels on ne fait rien des écrans interactifs. Les écrans passifs ont moins d’intérêt pour les enfants parce que, justement ils sont passifs devant!
  • les enfants de moins de 2 ans n’ont rien à faire devant les écrans, qu’ils soient passifs ou interactifs. Bon, en même temps, si vous amusez votre enfant de deux ans avec une tablette pour le faire patienter en attendant un RDV dans une salle d’attente, il n’y aura pas de préjudice. Par contre, la TV, les DVD et autres chaines télé pour bébé sont inutiles et préjudiciables.
  • Entre 2 et 6 ans, on doit également éviter un usage prolongé de la TV, surtout si les enfants sont seuls face à l’écran. Donc, ne passez plus votre dimanche en famille avec Drucker!
  • Entre 2 et 6 ans, on peut commencer à utiliser les jeux vidéos et les tablettes mais avec beaucoup de modération et en PRESENCE d’un adulte. Il es déconseillé que les enfants aient leur propre tablette à cet âge (franchement, qui a les moyens d’acheter une tablette à un gamin qui va la faire tomber par terre ou l’utiliser comme bateau dans la baignoire?Ah mais on m’annonce dans mon oreillette que des tablettes flexibles et étanches seraient en préparation)
  • entre 6 et 12: difficile de résister mais il faut encore contrôler les temps d’écrans, éviter la TV ou l’ordi dans la chambre. ET mettre des contrôles parentaux et commencer à expliquer aux enfants que l’on ne dit pas tout et n’importe quoi sur le net et qu’on protège sa vie privée et celle des autres.
  • à partir de 12 ans, on continue à contrôler le temps d’écran (pour autant qu’on le puisse) et on garde le dialogue avec les ados sur ce qu’ils voient sur internet, ce à quoi ils jouent (et on peut jouer avec eux). On reste vigilant.
  • L’usage des écrans et d’internet sont utiles dans le développement de certaines compétences, notamment la capacité à faire des raisonnements hypothético-déductifs. MAIS, il faut aussi développer par ailleurs des capacités sous-employées quand internet est le seul vecteur de connaissance: prise de recul par rapport aux infos (non, ce qui est écrit sur les blogs n’est pas toujours vrai! ni sur twitter d’ailleurs), capacité de synthèse, profondeur et linéarité de la pensée.

Bref, c’est un ouvrage intéressant qui vaut le coup d’être acheté si le thème vous intéresse.
Evidemment, il a été critiqué par certains scientifiques qui trouvent que les personnes qui l’ont écrit ne sont pas assez spécialistes pour le faire et ne donnent pas toujours leurs sources. C’est possible. Et il est aussi possible de considérer que Serge Tisseron est quand même psychiatre et spécialiste de l’image. Olivier Houdé est docteur en psychologie du développement et de l’éducation  et écrit des choses très intéressantes sur l’éducation (notamment sur l’apprentissage de l’inhibition) et qu’ils n’ont justement pas écrit pour des spécialistes et c’est tant mieux! Et si on veut vraiment lire les études, toutes les références sont à la fin du bouquin.
Et dernière cerise sur le gâteau, le livre est gratuitement consultable en pdf sur le site de l’académie des sciences.