Je suppose que vous n’avez pas pu échapper à la quasihystérie autour de la théorie du genre. J’étais en train d’animer une formation sur l’accompagnement à la parentalité fin janvier quand des participantes m’ont informé que certains parents avaient retiré leurs enfants de l’école ou prévoyaient de la faire à une date précise pour protester contre la théorie du genre à l’école !

Je dois dire que j’en n’ai pas cru mes oreilles, ni mes yeux quand j’ai pu contempler des affiches (de préférence non signées) et lire des sms envoyés à des parents : attention, on va transformer vos garçons en fille et inversement et surtout on va leur apprendre à devenir homosexuels sans oublier de les initier à la masturbation. Mis à part le fait que je ne suis pas convaincu que les enfants aient besoin de nous pour apprendre la masturbation, je me demande vraiment si les personnes qui ont « prévenu » les parents de ce genre de risque y croient eux-mêmes !

Bon alors, plus sérieusement, cette hystérie collective est inquiétante car des gens tout à fait sensés finissent par perdre les pédales et craindre pour leurs enfants…

Tout cela alors que la théorie du genre n’existe pas ! C’est un très très gros abus de langage. Ce qui existe, ce sont  les « gender studies », c’est-à-dire les études sur le genre qui ont commencé à se développer dans les années 70 aux USA (Voir l’article les gender studies pour les nuls).

Ici, le mot « genre » sert à faire une distinction avec le mot « sexe ». À l’époque, on pense que le sexe se rapporte à la biologie : est-on male ou femelle ? Donc on utilise le mot genre pour se référer à l’identité sociale et culturelle : comment est-on une femme ou un homme dans la société à laquelle on appartient ?

C’est à partir de cette distinction que les scientifiques vont faire l’étude de la domination masculine sur les femmes.

Dans les années 80, on commence aussi à étudier les « minorités sexuelles », c’est-à-dire des gens dont la biologie n’explique pas les tendances sexuelles. Donc là encore, on déconstruit : le sexe et la sexualité ne sont pas la même chose.

Autrement dit, les gender studies posent des questions qui remettent en cause un modèle qui semble tellement « normal » qu’il apparaît biologique et « naturel ». Ce modèle est également celui prôné par les trois religions du livre. En même temps, c’est bien le rôle de la science que de nous ouvrir les yeux sur ce qui détermine en partie nos comportements, au-delà du « sens commun ». Et je me méfie du sens commun quand je vois 52% de participants à un jeu télévisé qui pensent que le soleil tourne autour de la terre ! Le pauvre candidat n’aurait jamais dû demander l’avis du public.

Bref, comment les gender studies qui n’existent pas en France ont-elles pu avoir une telle influence sur notre pauvre petit hexagone ? Par l’introduction d’une dangereuse notion : l’égalité homme-femme (voir l’article de mon associée et la vidéo de Françoise Héritier sur l’égalité et la différenciation).

Bien que l’égalité homme-femme soit théoriquement une évidence dans notre droit, dans la pratique, ça coince.

Ça coince à cause de nos fichus stéréotypes sur les hommes et les femmes qui font que finalement, dans la pratique, on accepte la survivance de discriminations. Donc, autrement dit, on est toujours agi par des stéréotypes de genre, en dehors de toute conscience.

Il se trouve que l’école doit lutter contre les discriminations, notamment basées sur le sexe etse doit de promouvoir l’égalité et le respect. Il semble alors logique qu’elle s’en donne les moyens. Le programme « ABCD de l’égalité » est conçu pour encourager les enseignants à réfléchir sur leurs pratiques et leur permettre d’organiser des moments de réflexion sur l’égalité hommes-femmes et les stéréotypes sexués.

Évidemment, cette initiative fait polémique car pour certains, si on dit sexué, on touche alors à l’identité sexuée et donc à la liberté des familles d’éduquer leurs enfants selon leurs valeurs. Et comme on utilise souvent le terme « stéréotypes de genre », il est facile d’établir un raccourci avec la soi-disant « théorie du genre »…CQFD

 Bref, la montagne accouche d’une souris.

La théorie du genre n’existe pas. En revanche, les stéréotypes de genre existent bien et ont de beaux jours devant eux !

Envie d’un peu de lecture supplémentaire : un article du Monde sur 5 intox concernant la théorie du genre